Le CSE, l’instance unique de représentation des salariés, s’est globalement installé dans les entreprises, constate le comité d’évaluation des ordonnances Travail de 2017, qui rend public son quatrième rapport, jeudi 16 décembre 2021.

Si les objectifs quantitatifs semblent atteints, il n’en va pas forcément de même pour les objectifs qualitatifs.

“L’empilement des prérogatives et la complexité des problèmes à traiter rendent de plus en plus compliquée la mission des élus”, avertissent Marcel Grignard et Jean-François Pilliard, alertant aussi sur le risque de centralisation du dialogue social.

Rares sont les accords CSE qui prévoient l’installation de représentants de proximité.

“Quatre ans après leur création légale, les dispositifs spécifiquement créés par les ordonnances sont effectifs au sens où les acteurs s’en sont emparés de façon croissante”, considère le comité d’évaluation des ordonnances travail de 2017, dans son dernier rapport publié jeudi 16 décembre 2021. “

Tant le nombre de CSE (comités sociaux et économiques) que l’évolution des accords collectifs conclus avec des élus ou par référendum en témoignent”, ajoute le comité.

DES CSE GLOBALEMENT INSTALLÉS

“Si initialement la date limite fixée pour l’instauration des CSE était le 31 décembre 2019, la mise en œuvre s’est poursuivie au-delà et a pu parfois être décalée en raison de la crise sanitaire. Au 31 décembre 2020, on dénombrait près de 90 000 CSE créés et près de 49 000 situations de carence”, observe le comité. S’il n’est pas possible de documenter la part des entreprises concernées qui se sont effectivement dotées d’un CSE, la Dares note qu'”en 2019, 41 % des entreprises de 10 salariés et plus, représentant 79 % des salariés du champ, étaient couvertes par au moins une [ancienne ou nouvelle] instance”. Et le comité d’évaluation de constater que “durant les années de transition des anciennes vers les nouvelles instances, ces taux de couverture sont globalement comparables à ceux antérieurs à la réforme”.

Le déploiement des CSSCT – facultatives dans les entreprises de 50 à 300 salariés et obligatoires dans les plus de 300 salariés — “se fait également progressivement”. “Logiquement, du fait de leur caractère facultatif dans les entreprises de 50 à 300 salariés [contrairement aux anciens CHSCT obligatoires dès 50 salariés], la couverture globale des salariés par de telles commissions dédiées est en recul : elle est d’au moins 46 % dans les entreprises de 10 salariés ou plus en 2019, contre les trois quarts en 2017”, indique le comité. Et “à la fin de l’année 2019, 74 % des entreprises de plus de 300 salariés ayant mis en place un CSE [couvrant 85 % des salariés], et qui doivent à terme être toute couvertes, disposent d’une CSSCT”.

ATTEINTE DE L’OBJECTIF DE RATIONALISATION

En matière d’organisation du dialogue social en entreprise, “on peut considérer que les ordonnances semblent atteindre certains objectifs visés par leurs concepteurs”, notamment “en termes de rationalisation du dialogue social, dès lors que le passage à une instance unique a permis de limiter le nombre de réunions et le traitement de mêmes sujets dans différentes instances”, considère le comité.

“Il n’est cependant pas possible de quantifier, à ce stade, l’évolution du nombre d’élus du fait de cette fusion des instances. En effet, la diminution du nombre de mandats a touché différemment les entreprises selon leur taille : alors qu’elle a eu peu d’effets dans les plus petites [qui disposaient déjà de peu d’élus avant] ou dans celles qui avaient déjà des instances fusionnées [délégations uniques du personnel], elle paraît plus marquée dans les grandes entreprises et/ou celles à établissements multiples où l’on observe, également, une centralisation plus importante des CSE”, détaillent les auteurs du rapport.

UNE TENDANCE À L’ÉLOIGNEMENT DU TERRAIN

Si cet objectif de “rationalisation du dialogue social” est atteint, il n’est pas sans danger. “Au fil du temps, l’empilement des prérogatives et la complexité des problèmes à traiter rendent de plus en plus compliquée la mission des élus, ne facilitent pas le travail des directions attachées à faire vivre le dialogue social et poussent au formalisme le travail des instances de représentation et à l’inefficacité un dialogue social qui s’éloigne des salariés”, observent les deux coprésidents du comité, Marcel Grignard et Jean-François Pilliard. “C’est un paradoxe de la traduction d’une réforme dont l’objet est de décentraliser le dialogue au plus près de là où se posent les problèmes : bon nombre d’entreprises à établissements multiples ont choisi au contraire de le centraliser, semblant ignorer l’enjeu clé de la proximité”, ajoutent-ils dans leur avant-propos.

“L’effacement de la représentation de proximité apparaît comme une crainte récurrente”, explique l’ensemble des membres du comité. Alors qu’il n’est pas nécessaire de conclure un accord pour mettre en place un CSE, le comité note que seulement “environ 25 % des accords de mise en place des CSE prévoient la création de représentants de proximité, principalement dans des grandes entreprises mais avec néanmoins un quart de ces accords qui concernent des structures de moins de 300 salariés”. “Faute d’avoir mis en place des représentants de proximité, certaines entreprises peuvent rencontrer des difficultés à traiter les questions relatives aux réclamations individuelles et collectives et aux conditions de travail”, explique le comité. Et au-delà de l’installation effective de ces représentants de proximité, “leur rôle reste encore mal défini”.

“BESOIN” DE PRÉCISER LES MISSIONS DU REPRÉSENTANT DE PROXIMITÉ ?

“L’absence de définition de ce qu’est la mission du représentant de proximité, comme d’ailleurs l’absence de précisions sur comment il faut traiter les demandes individuelles et collectives, fait que l’on a des ordonnances extrêmement larges qui ramènent l’ensemble des prérogatives au sein des CSE qui ont toute liberté”, explique Marcel Grignard, lors de la conférence de presse de présentation du rapport. Et de constater des “orientations très différentes” dans les entreprises dans lesquelles la question a été posée, allant d’une définition accordant des “pouvoirs pleins et entiers” aux représentants de proximité à une définition qui n’en fait que de “simples relais du CSE”.

“Il est certain que les négociateurs avaient une page blanche devant eux. Quand on sait la complexité des missions […], il y a un besoin d’outiller les élus et d’avancer sur le mécanisme de construction des représentants de proximité”, continue-t-il. Défendant l’idée que ne pas miser sur le dialogue consiste à faire “peser un risque considérable sur l’avenir des entreprises”, son coprésident, Jean-François Pilliard estime que “c’est une question de stratégie et non pas une question de technique ou de moyens”. Ce à quoi, Marcel Grignard met “un bémol” : “L’engagement des acteurs est un élément fort, mais le cadre et les moyens dont ils disposent fait qu’ils peuvent ou pas se saisir des opportunités”.

UNE MISSION “HUMAINEMENT INFAISABLE” (M. GRIGNARD)

“L’élargissement et la concentration sur le CSE d’un champ très vaste de sujets à aborder ne créent pas mécaniquement une meilleure articulation des enjeux stratégiques, économiques et sociaux, et peuvent constituer un élément de fragilisation de l’engagement des élus [avec une] surcharge de travail de représentation, [des] difficultés de conciliation avec l’activité professionnelle, parfois renforcées pendant la crise en raison de la forte sollicitation des instances existantes [ou encore un] manque d’expertise sur l’ensemble des sujets”, soulignent les membres du comité d’évaluation, qui plaident pour un renforcement de l’accompagnement et de la formation des acteurs.

De leur côté, Marcel Grignard et Jean-François Pilliard pointent “un sentiment de fatigue fréquemment mis en avant par des élus – mais aussi par des responsables de ressources humaines – conduisant certains au désengagement, voire à la démission, et interrogeant sur la capacité à présenter des listes aux prochaines élections, alors qu’il faudra assurer un renouvellement générationnel” des élus. “La mission confiée actuellement aux élus est telle qu’elle devient humainement infaisable et elle participe à l’institutionnalisation et à la défaite du dialogue social”, avertit Marcel Grignard. En guise de réponse, comme début 2019, le ministère compte mettre en place un nouveau plan d’accompagnement des acteurs. “La question de l’accompagnement est mise en avant depuis le début. Travailler avec les organisations syndicales et patronales est vital et chaque acteur a la responsabilité de se saisir de ce rapport”, explique Marcel Grignard.

“C’EST L’INSTANT D’AGIR”

Plus généralement, “la mise en œuvre des ordonnances n’a pas réglé par magie les problèmes qui limitent la diffusion et l’efficacité du dialogue social”, soulignent Marcel Grignard et Jean-François Pilliard. “Si [cette mise en œuvre] a simplifié des process, elle a pu aussi, sur plusieurs aspects, les rendre plus compliqués, plus institutionnels, ce qui conduit des entreprises à renégocier les modalités d’application – mais c’est pour l’instant loin d’être une généralité”, poursuivent-ils. “Les ordonnances n’ont pas, par miracle et à elles seules, créé la dynamique d’un dialogue social qui souffrait déjà en amont de bien des maux que le statu quo ne pouvait qu’empirer”, ajoutent-ils. “Nous sommes au milieu du gué, c’est l’instant d’agir pour assurer à ce dialogue social un avenir à la hauteur des défis de nos sociétés”, concluent les deux coprésidents du comité d’évaluation.

“NOTRE RÉFLEXION N’EST PAS DE MODIFIER LES RÈGLES” (MINISTÈRE)

“Notre réflexion n’est pas de modifier les règles. Ce n’est pas souhaitable, deux ans après l’installation des CSE”, explique-t-on du côté du ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion. “Ce n’est pas en faisant à nouveau varier les dispositifs que l’on obtiendra des progrès. Il faut préserver les dispositifs en laissant un cadre juridique stable”, ajoute l’entourage d’Élisabeth Borne.

Alors que la crise sanitaire est venue percuter le processus d’accompagnement annoncé début 2019, “nous nous saisissons de ce rapport pour relancer les travaux”, ajoute la rue de Grenelle. En pratique, les partenaires sociaux sont invités à venir travailler sur le plan d’accompagnement proposé, le 10 janvier 2022. “Nous avons la volonté d’accompagner la mise en œuvre des ordonnances dans la durée.”

Par ailleurs, le ministère souhaite que Marcel Grignard et Jean-François Pilliard poursuivent les travaux d’évaluation des ordonnances.

Consultez le rapport du Comité d’Evaluation des Ordonnances Travail (décembre 2021) :