La lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes dans les entreprises a connu un récent coup d’accélérateur. Depuis le 1er janvier 2019, chaque comité social et économique (CSE) est tenu de désigner en son sein un référent dédié à ce sujet sensible. Encore méconnue, cette nouvelle mission des représentants du personnel s’installe peu à peu dans le paysage, notamment grâce à l’investissement d’élus qui ont pris ce sujet à bras-le-corps.

Prendre la parole

Réalisateur sonore à Radio France et élu CFDT, Renaud Dalmar s’est porté volontaire pour exercer cette nouvelle mission. Il a été élu à l’unanimité au début 2019. Pour ce militant, le sujet n’est pas nouveau. Lorsqu’il siégeait au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), il avait déjà réussi à mettre la question du harcèlement sexuel sur la table. « Ce qui est intéressant dans cette nouvelle fonction, c’est justement qu’il y a tout à inventer », résume Renaud, qui se voit comme une personne-ressource pour les salariés.

J’ai été surpris par l’ampleur et les récits que l’on pouvait me faire

Renaud Dalmar, élu CFDT et réalisateur sonore à Radio France.

« J’ai été surpris par l’ampleur et les récits que l’on pouvait me faire, insiste l’élu. J’ai reçu beaucoup de témoignages, jusqu’à trois par jour. Au début, j’ai eu une petite difficulté à me retrouver en situation d’écoute, je n’étais pas préparé. » Renaud commence alors un travail de mise à distance, avec notamment la rédaction d’un rapport qui a été communiqué en CSE central.

Il participe aussi, avec la référente employeur, à la mise en place de conférences théâtralisées dans l’entreprise, pour sensibiliser. « Pour ce rôle de référent, il faut des personnes prêtes à s’investir et à prendre la parole sur le sujet dans les instances. Et une chose importante, c’est de pouvoir échanger, de ne pas se sentir soi-même isolé. »

J’ai puisé dans mon expérience personnelle

Géraldine (le prénom a été changé) a eu une autre façon d’aborder son rôle de référente harcèlement sexuel et agissements sexistes. Salariée d’une entreprise de la métallurgie, où les femmes sont minoritaires, elle a été victime d’un collègue, qui l’a harcelée sexuellement pendant un an.

Rien n’était prévu dans l’entreprise à ce moment-là pour gérer ce genre de situation. Lorsqu’elle a été désignée par le CSE, elle a puisé dans son expérience personnelle pour nourrir son action. « Avec le référent côté direction, on a construit un plan de prévention, quelque chose de carré. Nous avons rédigé des chartes pour informer les salariés, guider les victimes, leur donner les contacts à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise. On est en train de terminer ce travail, en rédigeant le protocole d’enquête », précise-t-elle.

Géraldine a pu compter sur la CFDT pour se former à cette nouvelle mission. « La prévention et le fait de savoir qu’il y a des référents et des personnes-ressources dans l’entreprise, ça limite le phénomène, j’en suis certaine. »

Convaincue par cette nouvelle mission, Mélanie [le prénom a été changé], élue CFDT et référente au sein d’un organisme de Sécurité sociale, a, quant à elle, dû se battre pour imposer ce sujet et convaincre sa hiérarchie qu’elle devait se positionner. « La référente côté direction était aussi la directrice des ressources humaines. Or c’était le cadet de ses soucis », résume-t-elle.

En 2021, Mélanie saisit alors l’opportunité des élections à venir. Elle fait le tour des services pour se présenter et mène une enquête auprès des salariés. « Cette enquête a souligné que des situations de harcèlement sexuel et d’agissements sexistes existaient au travail. La direction, qui se voilait la face, est tombée des nues. » Depuis, elle a changé et se montre plus volontaire sur le sujet.

À l’Ifremer, après plusieurs retards, les outils se mettent aussi en place. « La direction a communiqué à l’ensemble des salariés la procédure en cas de harcèlement sexuel et d’agissements sexistes », explique Anne Boisseaux, élue CFDT et référente de l’établissement Centre-Atlantique. Si rien ne lui a encore été signalé, elle se prépare au jour où ça arrivera. « Ça ne m’inquiète pas, dans le sens où j’ai un peu d’expérience dans l’écoute et je sais que je peux m’appuyer sur les autres référents de l’Ifremer en cas de besoin, c’est important. » Elle ajoute : « J’espère simplement ne pas être confrontée à une situation extrême. Mais je trouve ça important que le sujet soit sur la table. Il faut qu’on en parle, ça ne doit plus être tabou. »

CE QUE DIT LA LOI

La loi du 5 septembre 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » a créé le mandat de référent « en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes ». Un référent « désigné par le comité social et économique parmi ses membres […], pour une durée qui prend fin avec celle du mandat des membres élus du comité » (article L2314-1 du code du travail). Ce mandat, s’il n’est pas clairement défini par la loi, s’inscrit dans les prérogatives des CSE en matière de lutte contre le harcèlement sexuel.

Ainsi, le CSE « peut susciter toute initiative qu’il estime utile et proposer notamment des actions de prévention du harcèlement moral et sexuel et des agissements sexistes ». Par ailleurs, le signalement d’un harcèlement sexuel entre dans le champ du « droit d’alerte » accordé au CSE, ce qui provoquera de la part de l’employeur le déclenchement d’une enquête interne. Le législateur a aussi prévu qu’un référent soit nommé côté direction, parmi les services de ressources humaines, dans les entreprises de plus de 250 salariés, pour que les salariés disposent d’au moins deux interlocuteurs privilégiés sur ces questions.

À PROPOS DE L’AUTEUR Fabrice Dedieu Journaliste