Réunis à Lyon à l’occasion du 50ème congrès confédéral de la CFDT, ses 1600 délégués ont largement validé le rapport d’activité (adopté à 89,54%) et la résolution générale (à 90,91%). Les débats, riches et sans concession, donnent désormais un mandat clair à la CFDT face au patronat comme aux pouvoirs publics. Retrouvez l’intégralité du congrès sur syndicalismehebdo.fr…
« Nous nous sommes dit les choses. Nous avons partagé nos victoires – il y en a beaucoup – et nos échecs – il y en a quelques-uns. Nous avons confronté nos points de vue sur notre action pour en dessiner les priorités futures », résumait Laurent Berger dans son discours de clôture.
Réunis du 13 au 17 juin à la Cité internationale de Lyon, les 1600 délégués sont revenus sur quatre « années marathon » d’activité militante, marquées par la crise des gilets jaunes, la crise sanitaire et la mise en œuvre des comités sociaux et économiques (CSE) à la suite des ordonnances Travail. Bien que bousculée, cette CFDT, devenue à la fin de 2018 la première organisation syndicale tous secteurs confondus, n’est pas restée spectatrice. Elle aura été, à bien des égards, « utile et nécessaire, » sans jamais cesser d’assumer « sa singularité et son leadership partout où elle est implantée, que ce soit sur les lieux de travail dans les professions et les territoires comme au niveau confédéral ». L’adoption du rapport d’activité, à 89,54% (le meilleur des scores depuis 1970), confirme le très large soutien des syndicats CFDT.
Quinze débats… et une ligne claire
Autre temps fort de ce congrès : le vote de la résolution générale, adoptée à 90,91% (là encore, le meilleur score) après que le projet a été amendé une dernière fois par les délégués. Il a été question de l’interne, évidemment (avec des expérimentations à mener dans plusieurs domaines), mais aussi du partage de la valeur, de fiscalité, de mandats syndicaux ou de retraites. Sur ces différents points, « la ligne est claire », affirme Laurent Berger réélu à la tête d’une organisation unie et déterminée. « Je suis très fier de notre démocratie interne. Personne, dans cette maison, ne définit la ligne de la CFDT à lui tout seul. Et personne n’en est détenteur. »
“Des tripes, une tête et du cœur”
Ce 50ème congrès aura enfin été l’occasion de dévoiler les résultats de l’enquête « Parlons engagement », centrée sur les ressorts et les faiblesses de l’engagement syndical. « C’est quoi un militant CFDT ?, interrogeait d’ailleurs Laurent Berger en conclusion. C’est une femme ou un homme qui a des tripes, une tête et du cœur. Parce que nous avons des tripes, nous ne voulons plus des inégalités qui minent le monde du travail et la société. Parce que nous avons une tête, nous ne croyons pas au grand soir et aux solutions miracles mais aux avancées concrètes qui changent déjà le quotidien. Parce que nous avons du cœur, nous pensons en responsabilité qu’un autre mode de développement, plus juste, est possible. »
Dès l’introduction de sa réponse sur le rapport d’activité, Laurent Berger a tenu à remercier les 48 femmes et 56 hommes qui sont intervenus lundi et mardi dans un climat apaisé faisant « honneur au débat interne à la CFDT » alors même que « dans un débat public, le clash et l’affrontement facile sont trop souvent la norme ».
Peser pour une révision des ordonnances
Difficulté centrale de la dernière mandature, à l’origine d’une grande part de la fatigue militante à tous les niveaux de l’organisation, les ordonnances travail ont « déséquilibré le rapport de force au profit des employeurs », « réduit les moyens et compliqué la vie et le fonctionnement des syndicats et des structures CFDT », ou encore « créé une distance entre les élus et les salariés, avec la disparition des délégués du personnel », reconnaît le secrétaire général. Après avoir adressé ses propositions au gouvernement il y a quelques semaines, la CFDT va, « dès la semaine prochaine, interpeller le ministre du Travail pour faire valoir ces propositions et enfin faire bouger ces ordonnances ».
Fierté… mais fatigue militante
Laurent Berger le reconnaît : « Il y a, indéniablement, cette expression de fatigue. Nous l’avons entendue et nous allons rapidement réfléchir à mettre en place les accompagnements nécessaires pour ne pas laisser les choses en l’état. Pour que chacun, chacune, trouve le lieu, les personnes, les moments, pour poser le sac, se ressourcer, reprendre du peps ! » En effet, au-delà de la fierté d’appartenir à la première organisation syndicale de France, « qui a fait le job pendant ces quatre dernières années », « militer ne doit rimer ni avec souffrance ni avec sacrifice. On doit aussi y trouver du plaisir ».
Une organisation qui a fait le job
Services publics et protection sociale, piliers permettant de faire société
Et c’est peu dire que pendant quatre ans, la CFDT aura été aux côtés des travailleurs, de ceux des première et deuxième lignes, pour « agir avec eux sur les transformations du travail ». Mais aussi pour construire des « réponses collectives, limiter les conséquences de la crise, sauvegarder dans les entreprises l’emploi et les compétences, accueillir les jeunes, adapter les aides massives aux besoins des entreprises, des salariés, des demandeurs d’emploi ».
Alors que la crise sanitaire a « révélé les faiblesses structurelles de notre système de soins », malgré l’engagement sans faille des soignants, le secrétaire général de la CFDT appelle à « redorer l’attractivité » des métiers du soin en « partant du réel, écoutant les travailleurs, mettant les usagers au centre des dispositifs ». De même, en matière de perte d’autonomie, la CFDT « continuera de revendiquer une grande loi et des financements à la hauteur des besoins ».
L’éducation sera également au cœur du prochain mandat, mais en élargissant « la focale pour articuler notre vision de la formation initiale [de la maternelle à l’université] et celle de la formation tout au long de la vie. Faire évoluer l’école, c’est aussi reconnaître le rôle des acteurs de l’éducation populaire, des associations culturelles et sportives et de tous les professionnels : enseignants, Atsem, animateurs, administratifs ».
Ferme opposition à l’âge de départ à 65 ans !
Pour Laurent Berger, c’est clair : imposer le recul de l’âge légal à 65 ans, « c’est mépriser les salariés qui entament leur carrière tôt ; c’est mépriser les salariés qui ont un métier pénible ; c’est mépriser les salariés qui ont du mal à se maintenir en emploi en fin de carrière ». Il rappelle cependant, comme le porte la CFDT depuis au moins 2003, « la durée de cotisation est un paramètre juste pour déterminer les droits à la retraite. C’est juste parce que cela impose à chacun le même effort pour accéder à la retraite. Bien évidemment, cela ne dispense pas de construire des droits spécifiques pour compenser la pénibilité du travail, aider les plus basses rémunérations ou pour venir en aide à celles et ceux, surtout celles, qui ont des carrières incomplètes ou interrompues ». Et de conclure : « Revenir sur ce positionnement de la CFDT, ruser avec ce positionnement, ce serait nous contredire. Ce serait perdre en crédibilité aux yeux des travailleurs, mais aussi des médias, [selon lesquels] la CFDT est devenue une référence sur le sujet retraite ; ce serait nous affaiblir face au gouvernement et au patronat. »
Europe et international
Fidèle à l’histoire de la CFDT, le secrétaire général insiste sur le fait que « l’Europe, c’est notre communauté de destin. C’est notre seul horizon ». « Nous aspirons à plus d’Europe. Nous savons qu’elle n’est pas parfaite, que beaucoup de batailles restent à mener et de nouvelles avancées à conquérir pour une Europe plus démocratique, plus solidaire et plus à même de relever les défis d’avenir. »
Moment d’émotion de ce discours : l’ovation des congressistes pour les militants ukrainiens et afghans présents dans la salle lorsque Laurent Berger martèle le credo CFDT : « Nous ne mettons jamais dos à dos l’agresseur et l’agressé. Nous ne sommes pas de ceux qui dénoncent un impérialisme en en soutenant un autre. Notre lecture du monde ne dépend pas de la couleur politique des protagonistes, et notre indignation n’est pas sélective. Nous n’avons qu’une boussole : être aux côtés de ceux qui se battent pour la démocratie et pour la liberté. Nous ne transigeons pas avec les valeurs, le respect des droits humains, le droit des travailleurs, les droits des femmes… »
Un syndicalisme de résultats
Afin de continuer à porter « un syndicalisme de résultats, utiles aux travailleurs », la CFDT, plutôt que de pratiquer, comme d’autres, la politique de la chaise vide « sous prétexte que les termes de la discussion nous déplaisent », préfère « créer le rapport de force avec le patronat et le gouvernement pour être écoutée et entendue ». Et Laurent Berger d’ajouter : « Nous ne sommes pas de ces syndicalistes qui réclament à cor et à cri plus de dialogue et moins de verticalité pour mieux laisser la chaise vide quand il faut mettre les mains dans le cambouis. Nous voulons prendre notre part dans une véritable co-construction. » Pour autant, la CFDT continuera de « contester les mesures injustes […] avec toute la palette de ce que nous savons faire : mobilisations sectorielles, manifestations, pression militante et des salariés… »
La CFDT compte sur ses propres forces
Face aux défis qui se profilent, « pour tenir la barre dans la période à venir, nous devons avant tout compter sur nos propres forces pour durer, être attractifs et efficaces ». Cela passe en premier lieu par « notre nombre d’adhérents ». C’est pourquoi, après « l’échec collectif » des 10% votés à Rennes, Laurent Berger encourage « chaque syndicat, dans l’année qui vient, à travailler sur un objectif de développement avec ses sections. Et dans un an, c’est l’addition de vos projets qui fera notre objectif à tous ». Cela passe également par la consolidation de la première place de la CFDT lors des renouvellements des comités sociaux et économiques et lors des élections fonctions publiques du 8 décembre. Enfin, « compter sur nos propres forces, c’est aussi accompagner nos militants, leur donner du plaisir à militer, les sécuriser dans leur engagement » – et c’est bien là tout le sens de l’ARC.
En conclusion de sa réponse, le secrétaire général a tenu à saluer le « trésor » que sont les militants CFDT : « À côté du discours politique, en dessous des radars médiatiques, nous le savons bien : il y a des milliers d’initiatives positives d’actions qui se développent chaque jour sur les territoires, dans les entreprises et les administrations. » Un trésor à « faire fructifier, qu’en tant que responsables de la CFDT, nous avons reçu en héritage et transmettre à nos successeurs une CFDT encore plus forte, encore plus utile aux travailleurs et à la société ».
Article de Anne-Sophie Balle Rédactrice en chef adjointe de Syndicalisme Hebdo et Nicolas Ballot rédacteur en chef de Syndicalisme Hebdo et de CFDT Magazine