Un salarié sur cinq est un aidant. Beaucoup peinent à concilier vie personnelle et vie professionnelle. Une réalité que les employeurs ne doivent plus ignorer.
Les salariés sont souvent des parents mais aussi des descendants de personnes qui vieillissent. Plus que jamais, l’évolution de la société les met à contribution pour aider leurs proches, complexifiant à l’extrême leur vie personnelle et professionnelle.
Ils sont entre 8 et 11 millions en France et ils font un travail invisible. Ce sont des « aidants ». Le terme est parfois associé à différents adjectifs qui contextualisent l’aide apportée : aidants «familiaux», «naturels», «proches», «informels». Ces terminologies ont en commun de souligner le caractère non professionnel de leur aide et sa régularité. La plupart des aidants s’occupent d’une personne de leur famille, mais parfois plus d’une.
D’après l’Orse (Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises), la moitié d’entre eux cumule l’emploi avec l’aide qu’ils apportent à un proche. La Haute Autorité de santé donne également un autre chiffre : près de 10 % des aidants le sont pour des amis ou des voisins vivant seuls. Soutien moral, aide domestique, rendez-vous médicaux, surveillance, démarches administratives… : les aidants décrivent tous les cas de figure selon les besoins du proche aidé, la possibilité de se faire relayer ou non, avec des conséquences diverses sur leur vie professionnelle, familiale et amicale, leur santé, leurs performances et leurs projets de vie. Au final, l’aidance s’inscrit dans une problématique plus large, celle de la prise en charge du grand âge, du handicap et des personnes fragilisées par une maladie ou un accident de la vie. Et comme les trois quarts des aidés vivent à leur domicile (et ont donc besoin d’aide), le nombre d’actifs concernés devrait augmenter rapidement. Selon le baromètre BVA/Fondation April, en 2030, un salarié sur quatre sera aidant. Autre phénomène marquant : on entre dans l’aidance de plus en plus tôt, 36 ans aujourd’hui contre 60 ans il y a quelques années, selon une étude Ocirp-Viavoce.
Des aides insuffisantes, des droits méconnus
Si la stratégie nationale 2020-2022 « Agir pour les aidants » a fait émerger le sujet dans le débat public, il reste encore largement impensé par les salariés et les entreprises. Beaucoup d’aidants ignorent qu’ils le sont et qu’ils bénéficient, à ce titre, de droits rattachés à leur statut.
Le statut d’aidant est inscrit dans la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement (dite AVS), entrée en vigueur au 1er janvier 2016. Celle-ci reconnaît le statut d’aidant à toute personne qui accompagne « de manière régulière, fréquente, et à titre non professionnel » une autre personne en perte d’autonomie, et ce, « quel que soit le temps passé ensemble ». Néanmoins, relève Malakoff Humanis dans une enquête, deux aidants sur cinq ne connaissent pas cette définition avec précision.
Quant aux dispositifs d’aide, ils sont trop souvent méconnus et, lorsqu’ils sont activés, ils ne constituent pas forcément la réponse appropriée aux problèmes rencontrés. Ainsi, les droits à congés spécifiques sont encore sous-utilisés et 32 % des aidants n’en ont même jamais entendu parler. En cause, des démarches complexes puisque leur financement repose sur plusieurs organismes répartis entre l’État, les collectivités locales, la Sécurité sociale et les mutuelles complémentaires, mais aussi des durées limitées et de faibles niveaux d’indemnisation (58 euros nets par jour). Trois types de congés permettent cependant à un salarié de s’absenter temporairement de son entreprise.
Le « congé de proche aidant », créé en 2015, peut être accordé à une personne qui accompagne un proche dépendant lorsque la dépendance est établie à au moins 80 %. D’une durée de trois mois, renouvelable dans la limite d’un an sur l’ensemble de la carrière professionnelle, il ne peut être refusé par l’employeur dès lors que le salarié fournit la décision de l’APA, qui établit le degré de dépendance de la personne aidée. Problème : pour Claire (lire son témoignage), trois mois se sont écoulés entre sa demande à l’assistance sociale et la visite de celle-ci ayant permis de poser le diagnostic concernant sa mère… Ce congé n’est donc pas adéquat pour faire face à une situation d’urgence.
Pour s’occuper d’un enfant de moins de 20 ans handicapé ou gravement malade, le « congé de présence parentale » est limité, lui, à quatorze mois sur une période de trois ans. Sans autres relais, les parents sont vite obligés de réorganiser leur vie professionnelle, voire de s’arrêter de travailler. C’est le cas d’Anne-Sophie, maman solo dont l’enfant était déscolarisé. « J’ai attendu huit ans un diagnostic médical. Mon fils ne parlait pas, ne lisait pas. Je ne pouvais pas faire de démarches pour la reconnaissance de son handicap et je ne trouvais pas d’école pour lui. »
Un troisième dispositif, le « congé de solidarité familiale », a été instauré pour assister un proche dont le pronostic vital est engagé. Il est limité à trois mois et renouvelable une fois. Si l’employeur y consent, il peut être pris sous forme de temps partiel ou fractionné. Mais pendant ce congé, le contrat de travail est suspendu et l’aidant n’est pas rémunéré. Enfin, depuis 2014, le don de jours de congés entre collègues est possible. « Cette mesure repose entièrement sur les salariés. Or ce n’est pas aux collaborateurs de prendre en charge l’aidance », critique Sigrid Jaud, cofondatrice de la société Aidantes & Co, qui a fait de la sensibilisation à l’aidance en entreprise son cœur de métier.
En parler à son employeur
Faire valoir ses droits à congé pour proche aidant suppose, en outre, de réussir à parler de cette situation qui relève de l’intime, un dilemme pour de nombreux salariés. Selon l’assureur Ocirp, en effet, seuls 26 % des salariés aidants ont informé leur employeur de leur situation, même si garder le silence peut leur porter préjudice et envenimer leurs relations professionnelles. En parler, au contraire, les ferait se sentir moins coupables, leur donnerait l’opportunité d’obtenir des aménagements d’horaires, davantage de jours de télétravail et plus d’empathie aussi. Seulement, dit Élena, jeune active qui aide ses deux parents : « La bienveillance n’est pas de mise dans toutes les entreprises. Prendre des jours pour enfant malade, c’est bien vu, les collègues s’apitoient et prennent des nouvelles. Ce n’est pas du tout pareil si l’on s’absente pour ses parents. »
Maman de deux enfants, Sigrid Jaud a accompagné sa mère malade d’Alzheimer pendant quinze ans et n’a jamais osé en parler à son employeur. De ces années difficiles est née l’idée de se consacrer à des actions de formation et de prévention auprès des entreprises et des salariés.
« Dans beaucoup d’entreprises, il y a tout à construire ! Or il faut absolument que le salarié puisse faire confiance à un interlocuteur : le médecin du travail, l’assistance sociale, le responsable des ressources humaines ou un représentant du personnel », souligne-t-elle. « Pour qu’un aidant se sente soutenu, il faut aussi lui donner la possibilité de rester dans l’entreprise, aménager sa fiche de poste et ses objectifs. Surtout, il faut reconnaître les compétences qu’il développe en lien avec sa situation personnelle, comme la gestion de planning et l’adaptabilité dont il fait preuve. Nous disons aux employeurs : vos aidants sont des atouts ! »