La tenue prochaine d’une conférence sociale sur les bas salaires – depuis qu’elle a été évoquée, à la fin août – nourrit les espoirs de milliers de travailleurs.
Les attentes sont extrêmement fortes pour voir le problème traité dans sa globalité.
On connaissait déjà les grandes lignes de l’organisation de la conférence sociale, distillées au fil de l’eau par l’exécutif. Une conférence d’une journée au Conseil économique, social et environnemental (Cese) réunissant les partenaires sociaux autour de la Première ministre. Restait à fixer la date. Elle devrait vraisemblablement avoir lieu le 16 octobre, quelques jours après que les travailleurs se seront mobilisés, à l’appel de la Confédération européenne des syndicats (CES), « contre l’austérité et pour l’augmentation des salaires ». Une manière de jauger la colère intacte du monde du travail avec, d’un côté, l’inflation et l’augmentation des dépenses contraintes (qui ne permettent plus aujourd’hui à une part croissante de la population de faire face) et, de l’autre, des hausses de salaires qui ne suivent pas.
D’évolution des salaires il sera bien évidemment question lors de cette conférence sociale. Les différents secteurs d’activité ne cessent d’alerter sur le rattrapage des minima de branche par le Smic lors de ses successives revalorisations, rattrapage rendu particulièrement criant avec la poussée de l’inflation.
Dans les services, « sur 72 branches, 50 ont des minima inferieurs au Smic », précise Véronique Revillod, secrétaire générale de la CFDT-Services. Il y a un « besoin urgent de reparler des salaires, de manière posée, de manière fine, en analysant chaque situation. Elle cite l’exemple des services à la personne, où il y a seulement 3 centimes en brut d’écart entre chaque niveau de classif ! » Même constat dans l’agroalimentaire, où la CFDT s’agace de constater que « certaines branches, comme le bétail ou la viande, maintiennent encore des niveaux de rémunération en deçà du Smic ».
Des systèmes de classifications pas révisés depuis dix ans
Au-delà de la conformité des minima au Smic, la révision des systèmes de classifications s’avère déterminante. Ces systèmes devraient être examinés tous les cinq ans au minimum… mais la grande majorité ne l’est pas. « Sur les 171 branches suivies par la direction générale du travail au printemps dernier, seules 35 % avaient remis à jour leurs classifications sur cette période obligatoire ; 46 % ne l’avaient pas fait depuis dix ans, et 13 % depuis au moins vingt ans », développe Luc Mathieu, secrétaire national en charge des rémunérations. Là encore, les secteurs le savent. « Encrer l’obligation d’ouvrir les négociations sur les classifications qui n’ont pas été révisées depuis cinq ans prendra du temps, admet Rui Portal, de la CFDT-Construction et Bois. Mais cette révision aura deux avantages : elle permettra d’améliorer l’attractivité de certains secteurs, dont le BTP, mais permettra surtout d’avoir une vraie réflexion sur les nouveaux métiers, dont ceux liés à la transition écologique. »
Avancer sur la conditionnalité des aides
De manière plus globale, « cette conférence est une opportunité cruciale pour mettre en œuvre une conditionnalité stricte des aides versées aux entreprises, développe Alexandre Dubois, secrétaire général de la CFDT-Agri-Agro. Sans remettre en question ces aides, il est devenu impératif qu’elles fassent l’objet d’un contrôle rigoureux et soient utilisées dans une perspective orientée vers des objectifs partagés. Cela commence par l’instauration d’une conformité des grilles de rémunérations. » Partant de ce principe, la CFDT revendique la suspension automatique des exonérations de cotisations sociales si les salariés sont maintenus au niveau du Smic au-delà de deux ans, afin que les travailleurs aient de réelles perspectives d’évolution de carrière.
Dans une récente interview à L’Opinion, le ministre du Travail, Olivier Dussopt, expliquait d’ailleurs sa volonté d’aboutir avec les partenaires sociaux à « un diagnostic partagé sur les trappes à bas salaires que peut provoquer la combinaison de la prime d’activité […] avec des dispositions d’exonérations de cotisations patronales ». La situation dans les CAF est particulièrement criante, avec « 15 % des salariés qui touchent la prime d’activité », affirme Hélène Ibanez, secrétaire générale de la CFDT-Protection sociale, Travail, Emploi (PSTE). Idem chez Pôle emploi, où le décrochage depuis dix ans atteint 25 %. « De nombreux salariés de nos secteurs touchent la prime d’activité, qui va être diminuée avec le montant net social, alerte-t-elle. Ce n’est pas acceptable ! ».
La fonction publique n’est pas en reste
Ces sujets ne sont évidemment pas l’apanage du secteur privé. Alors même que les pouvoirs publics appellent à la négociation dans les branches, l’État employeur est loin d’être exemplaire en la matière. « Cette conférence sociale ne fera pas l’impasse d’un échange sur la revalorisation salariale dans la fonction publique ; 2024 ne peut pas être une année blanche pour les fonctionnaires et contractuels », assénait Marylise Léon lors de la conférence de presse de rentrée de la CFDT. Au 1er juillet dernier, le point d’indice a été augmenté de 1,5 %… très loin, donc, de compenser l’inflation. Et le chantier « carrières et rémunérations », promesse de campagne d’Emmanuel Macron, patine toujours. « La négociation doit s’ouvrir maintenant », insiste la CFDT.
Une véritable promotion de l’égalité salariale
Un autre enjeu de cette conférence sociale sera de promouvoir (enfin) une vraie politique stratégique d’égalité salariale entre les hommes et les femmes, et ce, alors même que la Cour des comptes étrille, dans un rapport publié mi-septembre, la politique du gouvernement – qui n’a permis que « des avancées limitées » faute de stratégie globale et de pilotage efficace. L’index de l’égalité professionnelle, mis en place en 2019, doit être révisé et étendu à toutes les entreprises, y compris celles de moins de 50 salariés, estime la CFDT.
Une partie de la solution réside peut-être aussi de la mise en application de l’ANI relatif au partage de la valeur, et plus spécifiquement son volet mixité des métiers. « Le principal facteur d’inégalité salariale entre les hommes et les femmes découle en effet de la ségrégation professionnelle et du fait que les compétences des métiers majoritairement féminins ne sont pas valorisées », assure la CFDT. Or les secteurs en sont persuadés: « La question des salaires est intrinsèquement liée à la reconnaissance des métiers et la question des compétences. Tout cela doit être traité dans sa globalité », assure Hélène Ibanez.
Sur l’ensemble des sujets, les discussions s’annoncent animées, d’autant plus que les attentes sont extrêmement fortes…