Il y a tout juste un an, en mai 2022, la CFDT présentait au gouvernement nouvellement nommé un document de 75 pages de propositions destinées à répondre aux attentes sociales des travailleurs et des citoyens en matière de pouvoir d’achat, d’emploi, d’aspiration à un travail émancipateur, de justice sociale et de répartition des richesses, de services publics, de pouvoir d’agir sur son lieu de travail et dans la cité… (dont, au passage, des propositions pour « un système de retraite plus juste et plus lisible »).
Nous insistions fortement, au sortir de la crise Covid et des changements qu’elle a produits ou accélérés dans le rapport au travail, sur l’aspiration à vivre dignement de son travail, à travailler mieux, à être respecté et reconnu dans son travail, que l’on soit salarié d’une entreprise privée ou agent de la fonction publique.
Le recul de l’âge de départ à la retraite et la façon dont le pouvoir exécutif a procédé pour faire aboutir son projet de loi ont gravement dégradé la confiance des travailleurs et des citoyens dans l’action de l’exécutif et au-delà dans le fonctionnement de notre démocratie, dans la capacité pour chacune et chacun de pouvoir vivre dignement de son travail, dans la possibilité de concilier justice sociale et transition écologique.
La CFDT considère qu’il est urgent et impératif d’agir pour restaurer la confiance en donnant la priorité aux sujets mis en exergue par le conflit sur les retraites. Nous en dressons ici un inventaire synthétique que nous détaillerons dans les prochains jours dans un document plus précis. Dans l’élaboration de nos propositions, nous tenons compte des conclusions des Assises du travail.
Nous plaçons au premier rang la nécessité de restaurer la confiance dans nos valeurs et nos pratiques démocratiques. En commençant par revitaliser la complémentarité entre la démocratie politique et la démocratie sociale. Pour chacune des priorités que nous formulons, nous indiquons ce qui relève selon nous de l’initiative des partenaires sociaux et ce qui relève de celle du gouvernement dans le cadre de concertations avec les organisations syndicales et patronales.
Comme nous l’écrivions déjà dans nos propositions en 2022, et conformément à notre conception de la place du syndicalisme dans notre démocratie, la CFDT est prête à s’engager pour travailler sur l’ensemble des sujets présentés dans le document. Aujourd’hui, nous posons comme une exigence que nos propositions soient considérées et prises en compte dans la réflexion collective pour élaborer des réponses aux attentes des travailleuses et des travailleurs.
INSTAURER LA CONFIANCE…
DANS NOS VALEURS ET NOS PRATIQUES DÉMOCRATIQUES
C’est un objectif qui se décline au niveau national dans la relation entre l’exécutif et les confédérations syndicales et patronales représentatives, mais aussi au niveau local entre les représentants du personnel et les directions des entreprises et des groupes.
Revitaliser l’articulation entre démocratie politique et démocratie sociale.
Pour élaborer une réforme dans le champ de compétences des partenaires sociaux, il est indispensable de changer de méthode et de respecter différentes étapes :
- celle du diagnostic qui ne peut plus se réduire à la présentation de quelques diapositives par les administrations centrales, mais qui doit être partagé en y intégrant les constats portés par les partenaires sociaux ;
- celle de la définition des objectifs et des rôles dévolus à chacun pour les faire aboutir :
l’État dans le cadre de concertations, les partenaires sociaux dans le cadre de leurs négociations, sans présumer des options qu’ils retiendront ;
- celle de l’élaboration entre concertations et négociations selon un calendrier défini en commun ;
- celle de l’étude d’impact.
Redonner aux élus du personnel dans les entreprises les moyens de traduire concrètement les objectifs de la réforme du dialogue social de 2017.
- La CFDT a formulé en 2022 onze propositions pour adapter la réforme, à la lumière des bilans réalisés par le Comité d’évaluation des ordonnances, par nos propres équipes et récemment par l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES). Il ne s’agit pas d’une nouvelle réforme mais d’ajustements destinés à ce que l’objectif d’amélioration du dialogue social soit effectivement atteignable. La perte de proximité des élus avec les salariés est lourde de conséquences et vécue comme une atteinte au bon exercice de l’action syndicale dans les entreprises. [Concertation]
- Redonner des marges de manoeuvre aux représentants des salariés au sein des entreprises suppose que les avis des membres du CSE soient davantage pris en compte. En ce sens, un avis conforme du CSE doit être requis et pris en compte s’agissant de la formation, de l’utilisation des aides publiques y compris celles inhérentes à la transition écologique. Pour la CFDT, c’est un gage de l’ancrage de l’entreprise dans son territoire et son environnement. [Concertation]
- Rendre efficace les aides publiques octroyées aux entreprises par un contrôle social effectué par les représentants du personnel au sein de l’entreprise. Ce contrôle social doit s’exercer de manière effective depuis l’élaboration du projet générant la demande d’aide publique jusqu’à l’utilisation de celle-ci. [Concertation]
Permettre aux salariés de s’impliquer et de s’exprimer sur leur travail par le développement du dialogue professionnel, complémentaire du dialogue social et permis par des pratiques managériales renouvelées.
- Le droit d’expression des travailleurs ne saurait se réduire au seul droit de s’exprimer librement sur son travail. Pour la CFDT, le droit d’expression implique que l’exercice de ce droit ait des impacts concrets : sur le contenu du travail, sur son organisation, sur le management, sur les relations collectives, sur les moyens mis à disposition, etc… il s’agit donc d’échanges entre travailleurs qui constituent le dialogue professionnel. Loin du seul dialogue managérial ou de l’information descendante, le dialogue professionnel favorise l’implication des travailleurs sur leur travail. Il concoure également à la prévention primaire en constituant un 10ème principe général de prévention en sécurité et santé au travail. [Partenaires sociaux]
- Pour la CFDT, les pratiques managériales sont au coeur des sujets pouvant être traités par le dialogue professionnel, mais aussi au coeur des enjeux entourant les nouvelles modalités d’organisation du travail tel le télétravail. L’accord national interprofessionnel du 28 février 2020 relatif aux diverses orientations pour les cadres et notamment son article 2-Enjeux managériaux – est un point d’appui à ces approches. [Partenaires sociaux]
Renforcer la place des salariés dans le dialogue stratégique dans les entreprises en leur donnant une place plus importante dans les instances de gouvernance de plus d’entreprises (dès 500 salariés, holdings, SAS…). [Partenaires sociaux]
DANS LA CAPACITÉ DE CHACUN À OCCUPER UN EMPLOI ET UN TRAVAIL DE QUALITÉ : TRAVAILLER TOUS, TRAVAILLER MIEUX, SÉCURISER LES PARCOURS DANS LE CADRE DES MUTATIONS À VENIR
Sécuriser les parcours en créant et adaptant les droits des travailleurs aux mutations à venir, du premier emploi pour les jeunes jusqu’au maintien en emploi des salariés seniors.
- Maintenir les seniors en emploi par des mesures de prévention (RDV des 45 ans), la négociation obligatoire de plans seniors, l’aménagement des fins de carrière (postes et conditions de travail, réduction du temps de travail, retraite progressive). Ces mesures devront être accessibles à l’ensemble des travailleurs, et non réservés aux seuls salariés des grands groupes. Afin d’améliorer la situation des demandeurs d’emploi de longue durée de plus de 50 ans, la CFDT portera également des mesures favorisant leur retour à l’emploi. [Partenaires sociaux]
- Garantir pour tous les jeunes de 16 à 30 ans, en fonction de leurs besoins, un accompagnement global vers l’autonomie pour lever les freins sociaux et professionnels qu’ils rencontrent dans leur parcours d’insertion au travers notamment d’une solution logement, d’une solution mobilité, d’une solution aide sociale et d’une solution santé. Cet accompagnement doit être doublé d’une allocation financière versée sous conditions de ressources.
- La CFDT revendique la généralisation de la prévoyance pour tous les travailleurs non cadres avec participation de l’employeur. [Partenaires sociaux]
- La CFDT porte la mise en place d’une Assurance transition emploi (ATE) : elle a pour objectif de garantir pour l’ensemble des travailleurs (y compris les demandeurs d’emploi) un socle de droits universels et effectifs sécurisant toute mobilité professionnelle, qu’elle soit subie ou choisie. Cette ATE devra comporter l’ensemble des volets concourant à la sécurisation des périodes de transition professionnelle (information, accompagnement, durée, statut, rémunération, indemnisation, accessibilité, etc.). [Partenaires sociaux]
- Mettre en oeuvre et assurer le suivi de l’accord cadre national interprofessionnel sur la formation professionnelle de 2022 notamment pour faciliter les reconversions. Faire des compétences un objet de dialogue social dans l’entreprise. [Partenaires sociaux + Concertation]
- Renforcer les réponses de proximité via des actions territorialisées pour toutes les questions d’emploi et de formation professionnelle. [Concertation]
- Assurance chômage : la CFDT porte la nécessité de clarifier le rôle respectif de l’État et des partenaires sociaux dans la définition des règles de l’assurance chômage. Une discussion devra s’ouvrir sur la gouvernance future et la capacité des partenaires sociaux à définir des règles devant être revues pour janvier 2024. [Partenaires sociaux]
- Apporter des solutions aux freins à l’emploi en matière de logement, de mobilité, de garde d’enfants, d’illettrisme. [Partenaires sociaux et concertation y compris avec régions de France]
- Apprentissage : tout en soutenant la politique d’insertion professionnelle des jeunes par l’apprentissage, la CFDT demande une régulation renforcée et une réelle politique de qualité de cette voie de formation initiale. [Concertation]
- Sécuriser les parcours via la prévention de la désinsertion professionnelle et le maintien en emploi en s’appuyant sur l’accord national interprofessionnel du 9 décembre 2020 et la loi du 2 août 2021 sur la santé au travail et leurs suites. [Partenaires sociaux]
Réintégrer les facteurs de pénibilité exclus du C2P.
Il s’agit de favoriser la prévention tout en proposant un système de compensation de la pénibilité, au plus près des réalités du travail et des atteintes à la santé qu’il peut provoquer.
Avec le recul de l’âge de départ à la retraite, il n’est plus envisageable de ne pas agir sur la compensation des atteintes à la santé dues à l’exposition aux 10 facteurs de pénibilité, et sur la préservation de la santé des salariés exposés à des facteurs de pénibilité qui entravent leur capacité de mener à son terme leur parcours professionnel, et réduisent leur espérance de vie en bonne santé. C’est une question de justice que la loi retraite a totalement ignorée et contradictoire avec l’objectif d’augmenter le taux d’emploi des seniors. [Partenaires sociaux]
Donner aux travailleuses et aux travailleurs une plus grande maitrise dans la gestion de leurs temps, dans la journée, dans la semaine et tout au long de la vie.
- Faire de l’organisation du travail un sujet de négociation obligatoire dans les entreprises, en intégrant la possibilité d’aborder les équilibres des temps de vie au niveau hebdomadaire via les différents types de semaines de 4 jours. [Partenaires sociaux]
- Assurer le suivi de l’ANI Télétravail de 2020 et faire le bilan de sa déclinaison par des accords d’entreprises. [Partenaires sociaux]
- Ouvrir la possibilité d’aménager son temps de travail et de poser des respirations dans sa carrière professionnelle par la création d’un Compte épargne temps universel (CETU) attaché au travailleur et à sa main, transférable, et assis sur un fonds national interprofessionnel géré paritairement. Pour la CFDT, le congé CETU est opposable à l’employeur dans des conditions définies par la négociation collective et mobilisable uniquement en temps rémunéré. [Partenaires sociaux]
Redonner du sens aux systèmes salariaux par la reconnaissance effective des compétences et une juste répartition de la valeur.
- Obligation faite aux branches dont les minima sont absorbés par le SMIC de réviser leur classification et leur grille de rémunération, en s’appuyant sur les compétences requises pour occuper notamment les emplois peu qualifiés. Étudier la piste d’une suspension des exonérations de cotisations sociales patronales pour les entreprises dans les branches dont les minima ne sont pas conformes. [Partenaires sociaux + Concertation]
- Créer une commission « bas salaires » pour documenter en continu les causes et les remèdes au développement de la précarité salariale en France, au-delà de la seule évolution du SMIC. [Partenaires sociaux + Concertation]
- Enrichir le contenu de certains indicateurs de l’index de l’égalité salariale ; mettre en place l’index dans les administrations publiques. [Partenaires sociaux]
- Instaurer un rapport maximal entre les plus hautes et les plus basses rémunérations dans l’entreprise et le groupe. [Partenaires sociaux]
DANS LES SERVICES PUBLICS ET LES SOLIDARITÉS NATIONALES
Accès de tous aux services publics.
Le mouvement de numérisation des services publics est à l’oeuvre depuis plusieurs années et rend compliqué, voire impossible, les démarches des usagers lorsqu’ils sont sous-équipés ou en illectronisme. L’absence d’alternative physique à un service numérique crée donc souvent une absence d’accès aux droits ou aux services souhaités. Pour la CFDT, un accès à une personne physique formée doit permettre que soit garanti l’accès aux services publics de qualité, en particulier ceux permettant l’accès aux droits sociaux. [Concertation]
Les Conventions d’objectif et moyens de nos organismes sociaux doivent être dimensionnées pour permettre le recrutement de personnels à hauteur de ces besoins sociaux. Pour la CFDT, le projet de service public de la petite enfance doit être l’occasion de refonder une politique sociale de lutte contre les inégalités dès l’enfance, en attribuant des compétences obligatoires aux intercommunalités pour la petite enfance et en promouvant leur intégration dans le dispositif des SIEG (services d’intérêt économique général). [Concertation]
Santé–hôpital, déserts médicaux.
La crise de l’accès aux soins s’accélère sur l’ensemble du territoire français. Résoudre cette situation nécessite des mesures énergiques qui dépassent les tabous. Dans ce but, la CFDT a des propositions concernant l’exercice coordonné des professionnels, la permanence des soins en ambulatoire, l’installation des médecins et l’amélioration de la prévention en matière de santé au travail. [Concertation]
Fiscalité.
- Loin de cacher un ras-le-bol fiscal, partager les efforts donc augmenter la progressivité de l’impôt et aligner la fiscalité du capital sur la fiscalité du travail.
- Au croisement de la fiscalité et de la protection sociale, asseoir le financement de la perte d’autonomie en instaurant une taxation sur les successions (1 %). [Concertation]
Dépendance, autonomie, grand-âge et bien vieillir.
- La prise en charge de la perte d’autonomie en direction des personnes âgées et des personnes en situation de handicap doit être pensée et organisée en plaçant les personnes au centre des dispositifs. Nous proposons que le financement soit réellement nationalisé, et que, cependant, le développement des services et de l’accompagnement soit pensé dans la proximité, dans une logique de schéma territorial. La qualité du service rendu doit être au coeur de la prise en charge de la perte d’autonomie. [Concertation]
AGIRC-ARCCO. [Partenaires sociaux]
Conditions de travail et pouvoir d’achat des agents de la Fonction publique.
Pour garantir des services publics de qualité, il est indispensable que les agents bénéficient
de la reconnaissance de leurs employeurs. Pour cela, trois priorités :
- faire aboutir sans plus tarder les négociations sur la protection sociale complémentaire ;
- agir fortement sur le pouvoir d’achat avec des mesures générales rapides, supérieures à celles de 2022 (valeur du point et ajouts de points), puis avec un chantier structurel ;
- reconnaitre le travail des agents en mettant en oeuvre le premier Plan Santé au Travail, en redonnant du sens au travail, et en améliorant les conditions de travail.
Il en va de la capacité de la Fonction publique à recruter et fidéliser les agents dont le pays a besoin. [Partenaires sociaux + Concertation]
DANS UNE TRANSITION ÉCOLOGIQUE JUSTE QUI CONJUGUE LES RÉPONSES À L’URGENCE ÉCOLOGIQUE ET LA JUSTICE SOCIALE
La CFDT revendique d’associer les partenaires sociaux à la planification écologique de la France. [Concertation]
- Afin de déterminer les trajectoires crédibles permettant de tenir les engagements nationaux et européens de la France, de relever les défis et de résoudre les conflits d’usage qui en découlent ;
- Afin non seulement d’anticiper les conséquences en termes de travail, d’emplois, de compétences, de pouvoir d’achat mais aussi de faire de l’emploi, des compétences et du travail des accélérateurs de la transition écologique ;
- Afin d’articuler les différentes initiatives et feuilles de route existantes aux niveaux national, territorial et sectoriel ;
- Afin de construire une stratégie industrielle fondée sur les changements de comportements induits par la transition écologique.
Généraliser la conditionnalité sociale et environnementale des aides publiques aux entreprises. [Concertation]
- Mettre les finances publiques au service de l’atteinte des engagements de la France. L’ensemble des aides publiques doit être concerné, y compris la baisse des impôts de production et les aides en provenance des fonds européens ;
- Pour une industrie écologiquement et socialement durable, les entreprises doivent s’engager sur des trajectoires de transition écologique juste, comprenant des engagements sociaux et environnementaux ;
- Systématiser le Bilan des émissions de gaz à effet de serre (BEGES) pour toutes les entreprises qui bénéficient d’aides publiques, accompagné d’un plan de réduction des émissions ;
- Faire de la transition écologique juste l’objet d’une obligation de négocier un accord méthodologique d’entreprise qui hiérarchise les chantiers de transformation à mener dans le temps, en s’appuyant sur l’ANI transition écologique et dialogue social.
EN CONCLUSION, LA CFDT RAPPELLE LE BILAN DE L’AGENDA SOCIAL AUTONOME DES PARTENAIRES SOCIAUX CONVENU DÉBUT 2022.
À la date du 31 mars dernier, nous avons conclu 2 ANI :
- ANI du 14 avril 2022 “pour un paritarisme ambitieux et adapté aux enjeux d’un monde du travail en profonde mutation” ;
- ANI du 10 février 2023 sur le partage de la valeur (dans le cadre de l’article L.1 du code du Travail).
Depuis, nous avons conclu le 11 avril un ANI relatif à la transition écologique et au dialogue social.
Les discussions portant sur la branche ATMP de la sécurité sociale doivent aboutir prochainement.
Les premières discussions sur la gouvernance des Groupes de protection sociale sont lancées.
Il reste à ouvrir des discussions sur la valorisation des parcours syndicaux en entreprise et sur la valorisation des compétences acquises dans le mandat d’administrateur salarié.
Et, enfin, l’arrivée à échéance de l’accord AGIRC-ARCCO va entrainer l’ouverture d’une négociation d’un nouveau plan quadriennal qui devra prendre en compte les nouvelles règles du régime de base.