Le projet de loi relatif à la réforme des retraites a été adopté en Conseil des ministres le 23 janvier ; les premiers débats en commission débutent le 26. L’objectif de la CFDT est double : obtenir des avancées en matière de pénibilité, carrières longues ou emploi des seniors… tout en continuant à s’opposer au report de l’âge légal de départ en retraite !
Ça va vite, très vite ! À peine adopté en Conseil des ministres, le projet de loi de réforme des retraites sera examiné par la commission des affaires sociales dès le 26 janvier. Alors que les Français se sont massivement mobilisés le 19 janvier et s’apprêtent à battre de nouveau le pavé le mardi 31 janvier, la mobilisation se joue aussi auprès des parlementaires pour tenter de faire évoluer le texte.
Si le report de l’âge légal à 64 ans rend cette réforme inacceptable, il faut quand même étudier le projet point par point et tenter de faire évoluer le texte. « Nous faisons notre travail de syndicalistes, résume Yvan Ricordeau, qui porte le dossier des retraites à la Confédération. Nous appelons donc les salariés à se mobiliser pour créer un rapport de force à même de faire plier le gouvernement, tout en menant un travail plus fin sur le texte pour tenter d’arracher des avancées. »
La question du financement
Le premier sujet est d’ordre financier. Le gouvernement présente sa réforme comme inéluctable pour « sauver » le système alors que l’analyse faite par la CFDT (et beaucoup d’autres acteurs) montre au contraire qu’il n’y a aucune urgence à agir. Le Conseil d’orientation des retraites (COR) parle même d’un système « sous contrôle ». Pour résumer, le système serait déficitaire les vingt-cinq prochaines années puis reviendrait à l’équilibre. Selon les projections du gouvernement, les besoins à l’horizon 2030 tourneraient autour de 13 milliards d’euros. Mais cette somme, certes élevée, ne justifie pas de demander aux salariés de décaler de deux ans leur départ à la retraite. Toutes les organisations syndicales sont d’accord sur ce point. « La CFDT a toujours dit qu’elle était prête à regarder comment s’attaquer au déficit à court et à moyen termes, mais le gouvernement n’a pas souhaité entamer de discussions sur ce sujet lors de la concertation », insiste Yvan Ricordeau.
De fait, l’exécutif a choisi de n’utiliser que le levier allongement du temps de travail afin d’équilibrer financièrement le système. À elles seules, les deux mesures phares du projet de loi – le report de l’âge légal de départ à 64 ans et l’accélération de la loi Touraine – permettraient de faire entrer environ 17 milliards d’euros dans les caisses à l’horizon 2030, selon les calculs du gouvernement. Les entreprises ne sont donc pas mises à contribution, et il n’y a eu de réflexion ni sur le niveau adéquat des cotisations ni sur la fiscalité. « Loin d’être une réforme technique imposée par les déficits, cette réforme est avant tout un choix politique », insiste Yvan Ricordeau.
Les salariés particulièrement touchés
De fait, en optant pour le report de l’âge l’égal en vue d’équilibrer financièrement le système, le gouvernement fait le choix de demander un effort à une catégorie bien précise de salariés, celle qui a commencé à travailler avant 22 ans. En tenant compte de la nécessité d’avoir cotisé quarante-trois années avant de pouvoir prétendre à une retraite à taux plein, ces salariés doivent déjà travailler jusqu’à 64 ans. À cela s’ajoute l’accélération de la loi Touraine, qui impacte les salariés nés entre 1961 et 1973, et à qui l’on demande, en plus, des trimestres supplémentaires alors qu’ils pensaient être à l’abri des effets d’une énième réforme. C’est certainement pour ces derniers que le projet de réforme est le plus violent. À l’image de Marie-Jeanne ou Stéphane (lire l’encadré), beaucoup de salariés ont des métiers physiquement difficiles mais non reconnus et n’envisagent pas de prolonger leur activité, même de quelques mois.
Les quelques mesures d’accompagnement
Face à la dureté de la réforme, la CFDT a particulièrement insisté lors de la concertation sur la nécessité de prévoir des mesures fortes pour les carrières longues et sur la pénibilité. Le résultat est encore loin de ses attentes. Si les salariés qui ont commencé à travailler tôt ou ceux dont on reconnaît la pénibilité pourront continuer à partir plus tôt, leur départ à la retraite est également décalé de deux ans. Ils pourront partir à 62 ans au lieu de 64 ans. Idem pour les salariés en invalidité ou en inaptitude. Ils ne pourront prétendre au taux plein qu’à partir de 62 ans.
Seule avancée, le gouvernement promet d’assouplir les seuils donnant droit à des points pénibilité et de faciliter la reconnaissance de l’invalidité ou de l’inaptitude. Et pour les femmes qui ont cessé de travailler, les périodes validées au titre de l’assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) seront prises en compte dans le dispositif carrières longues. Finalement, davantage de salariés devraient donc avoir la possibilité de partir avant l’âge légal, mais tout de même pas avant 62 ans. Le gouvernement estime à 40 % le pourcentage de salariés qui pourront prétendre à un départ en retraite avant 64 ans : 20 % au titre de l’incapacité, l’inaptitude ou le handicap et 20 % au titre de la carrière longue.
Les revendications de la CFDT
Selon la CFDT, les parlementaires doivent donc aller plus loin, en réintégrant notamment dans le projet de loi les trois facteurs de pénibilité (port de charges lourdes, gestes répétitifs et vibrations) retirés en 2017 du compte professionnel de prévention (C2P). Elle demande également l’extension du C2P aux contractuels de la fonction publique. Dans l’immédiat, pour ce qui touche à la pénibilité, le gouvernement n’annonce que la création de deux fonds spécifiques visant à financer des actions de prévention dans les entreprises et les branches. Mais ce dispositif, encore flou, ne répond pas aux enjeux. Et en matière de carrières longues, la CFDT exige que les salariés concernés n’aient pas à cotiser plus de quarante-trois ans pour faire valoir leur droit à la retraite.
Enfin, la CFDT estime que les parlementaires doivent davantage contraindre les entreprises à agir sur l’emploi des seniors. La publication d’un simple index dans les grandes entreprises (plus de 300 salariés dans le projet de loi) n’est pas de nature à faire évoluer les mentalités. Elle revendique une négociation obligatoire sur le sujet dans toutes les entreprises de 50 salariés et plus, ainsi que des négociations dans les branches pour couvrir l’ensemble du salariat. Il est en effet urgent d’avancer dans les domaines du reclassement, de la formation professionnelle ou encore de la deuxième partie de carrière si l’on souhaite voir progresser de manière satisfaisante l’emploi des seniors. Les entreprises n’ont aujourd’hui clairement pas pris le sujet à bras-le-corps. Relever le taux d’emploi des seniors sans passer par la contrainte devrait pourtant être la priorité des priorités de ce projet de loi – ce qui ne semble pas être le cas, vu la faiblesse des propositions en débat aujourd’hui.
Un calendrier contraint
Ces revendications, essentielles, seront difficiles à faire aboutir tant le débat à l’Assemblée nationale paraît contraint. Le gouvernement ayant fait le choix de faire passer sa réforme via un projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale (PLFRSS), la procédure est très codifiée. Les parlementaires disposent de cinquante jours au maximum pour adopter le texte ; cela signifie que les débats doivent obligatoirement se terminer à la fin mars. Et si l’ensemble des amendements n’ont pas pu être débattus, le gouvernement peut passer par le fameux article 49-3 de la Constitution. « Le débat parlementaire qui s’annonce doit nous permettre de faire entendre nos revendications, résume Yvan Ricordeau. Si nous voulons contraindre le gouvernement à revoir sa copie, nous devons à tout prix gagner la bataille de l’opinion, prouver au plus grand nombre que cette réforme est injuste… et qu’un autre chemin est possible ! »