Que s’est-il passé en matière de santé au travail depuis trois décennies ? Deux tables rondes étaient organisées au Conseil économique, social et environnemental à l’occasion des 30 ans du magazine Santé & travail. La question de la pénibilité et du recul de l’âge de départ en retraite ont largement accaparé les débats.

Santé et travail, le couple maudit ?

Force est de constater que reculer l’âge de départ à la retraite serait lourd de conséquences tant l’écart de vie entre un ouvrier et un cadre est toujours aussi réel… Six ans de plus en moyenne pour un cadre d’après l’Insee. Et depuis trente ans, les évolutions du travail (intensification, ubérisation, numérisation, précarisation…) n’ont pas fait évoluer les indicateurs de la santé dans le bon sens, bien au contraire. « Les troubles musculosquelettiques [TMS] puis les risques psychosociaux [RPS] ont monopolisé les statistiques sur les risques professionnels et fait grimper les inaptitudes au travail », a déclaré François Desriaux, rédacteur en chef de Santé & travail.

Certes, les accidents du travail ont baissé, mais pas les maladies professionnelles, en augmentation continue. Le taux de décès au travail n’a pas bougé depuis 2010. Amiante hier, pesticides et perturbateurs endocriniens aujourd’hui : le constat est sans appel. Que l’on recule ou non l’âge légal du départ en retraite, la question de la santé au travail continue de se poser de manière préoccupante. Et malgré l’augmentation des connaissances sur les effets nocifs des expositions physiques et chimiques, la moitié des personnes de plus de 60 ans en France ne sont ni en emploi ni ne retraite (enquête Santé et itinéraire professionnel de la Dares).

Le travail, cet « impensé »

Dans ce contexte, « parler des retraites, c’est parler du travail et du rapport au travail, qui reste un impensé du débat public », a martelé Laurent Berger lors de la première table ronde consacrée à la « soutenabilité du travail ». Le déni des pouvoirs publics et des employeurs face à la réalité du travail a trouvé son point d’orgue lors de la remise en cause du compte pénibilité il y a cinq ans. Sous la pression des employeurs qui l’avaient qualifié « d’usine à gaz » et fustigé sa mise en œuvre, il avait été remanié – et allégé de quatre critères de pénibilité « impossible à mesurer » – avec les ordonnances de l’automne 2017. « Si le problème était uniquement d’ordre technique, a défendu Laurent Berger, nous aurions trouvé des solutions techniques ! » Mais le peu d’intérêt que les employeurs portent à la relation entre santé et travail est tout à fait tangible : moins de 5 % des accords d’entreprise concernent les conditions de travail. De fait, le travail et l’organisation du travail ne font pas partie des négociations d’entreprise obligatoires.

Aujourd’hui plus que jamais, la CFDT revendique donc l’ouverture d’une négociation afin de réintroduire les quatre critères supprimés du dispositif initial (exposition aux agents chimiques dangereux, vibrations mécaniques, manutentions de charge, postures pénibles). Car le compte pénibilité avait été conçu pour permettre à un salarié d’accumuler des « points de pénibilité » en vue de se former et d’accéder à des postes plus soutenables, de bénéficier d’un temps partiel ou de partir plus tôt à la retraite… une des réponses aux enjeux actuels de prévention des risques et de lutte contre la désinsertion professionnelle.

Claire Nillus Journaliste