Saisi le 21 mars par différents groupes politiques, le Conseil constitutionnel annonce qu’il se prononcera le 14 avril sur la réforme des retraites. Les organisations syndicales ont, chacune de leur côté, envoyé aux neuf “sages” leur argumentaire le 27 mars. Les juges sont par ailleurs attendus sur le référendum d’initiative partagée.
Et si c’était la porte de sortie tant attendue ? Alors que le gouvernement se refuse, pour l’instant, à faire la moindre concession, tous les regards sont à présent tournés vers le Conseil constitutionnel. Les neufs « sages » de la rue de Montpensier ont jusqu’au 20 avril (leur décision doit être rendue un mois maximum après que cette instance a été saisie) pour dire si la loi qui réforme les retraites est, en totalité ou en partie, conforme à la Constitution.
Cette décision est particulièrement attendue car la réponse à ce questionnement est loin de faire consensus. Plusieurs universitaires de renom spécialistes de droit public ont d’ailleurs déjà fait connaître leur avis, à l’instar du constitutionnaliste Dominique Rousseau. Dans une interview accordée au journal Le Monde, ce professeur de droit affirme même qu’« il semble difficile que le Conseil constitutionnel ne censure pas la loi sur la réforme des retraites tant les motifs d’inconstitutionnalité pour des raisons de forme sont sérieux ».
Des problèmes de forme et de fond
À l’instar de cet intellectuel, de nombreux experts estiment que réformer les retraites par une loi de finances rectificative de la Sécurité sociale est contraire à la Constitution car un tel procédé ne permettrait pas d’avoir un débat démocratique à la hauteur de l’enjeu. Les lois de finances sont régies par des règles spécifiques puisqu’elles doivent permettre d’adopter un budget (budget de l’État ou de la Sécurité sociale) dans un temps contraint. Dans le cadre de la réforme des retraites, les députés n’ont donc eu droit qu’à vingt jours de débats et les sénateurs de quinze jours. De plus, les lois de finances rectificatives sont censées répondre à une urgence (un dérapage budgétaire ou une réorientation budgétaire) en cours d’année. Elles ne sont donc pas faites pour régler la question du déficit à long terme du régime des retraites.
À ces critiques qui pointent le manque de débats démocratiques s’ajoute le fait que l’Assemblée nationale n’a pas voté le texte en première lecture, que le Sénat a utilisé un mécanisme de vote bloqué afin de parvenir à examiner l’ensemble du texte et qu’en outre le texte a été adopté sans vote, via la procédure prévue à l’article 49.3 de la Constitution – autant de raisons de déclarer la loi anticonstitutionnelle sur la forme.
Sur le fond, les critiques sont aussi nombreuses et pourraient également conduire les juges à déclarer la loi contraire à la Constitution. Selon la CFDT, « plusieurs dispositions portent une atteinte disproportionnée à plusieurs droits garantis aux travailleurs par la Constitution ». S’il se révèle impossible d’entrer dans les détails de l’argumentation juridique au cours du présent article, les deux principaux problèmes soulevés sont les suivants. En premier lieu, le report progressif de l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans est bien trop rapide. Il s’agit pour les premiers salariés concernés d’une rupture dans leurs droits car ils avaient déjà préparé leur retraite. En second lieu, le report à 64 ans crée des inégalités entre les salariés pouvant justifier d’une durée identique de cotisation. Ces deux conséquences de la réforme pourraient décider les juges à statuer négativement.
Un référendum d’initiative partagée
Parallèlement à leurs travaux relatifs à la réforme des retraites, les juges du Conseil constitutionnel ont jusqu’au 20 avril pour se prononcer sur l’utilisation de la procédure dite de référendum d’initiative partagée (RIP) en vue de faire adopter une proposition de loi déposée par 252 parlementaires de l’opposition le 20 mars. Si elle est validée, cette procédure, particulièrement complexe, serait une victoire politique… mais ne suspendrait cependant pas la réforme.
Concrètement, les neuf « sages » doivent valider ou non le fait que la proposition de loi qui interdit à l’âge légal de dépasser les 62 ans puisse faire l’objet d’un RIP, en application de l’article 11 de la Constitution. Si oui, il faut ensuite qu’elle recueille environ 4,9 millions de signatures (un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales) dans un délai de neuf mois. Une gageure ! Enfin, si l’opposition parvient à ses fins, la proposition de loi reviendra au Parlement, où chacune des deux chambres devra se prononcer. Et si seulement elle n’est pas examinée dans les six mois, le président de la République doit la soumettre à référendum. Autant dire que les juges sont davantage attendus sur leur décision concernant la réforme des retraites que sur le RIP.